Félix-Antoine Savard, curé fondateur de la ville de Clermont en 1935, se cache derrière la personnification de Menaud, maître-draveur (1937). Il observe autour de lui l’appropriation de la nature par des empiéteurs. Toute la terre, les champs, les montagnes et rivières, tous les bois, lacs et sentiers deviennent possédés. Menaud, enraciné dans les réalités de sa région et fier de son indépendance, craint une menace de ce patrimoine, comme si toute sa chair, toute son âme, était fragilisée.
Pour lui, l’homme naît fabricant, puis les maîtres s’agrandissent pour se développer de pair avec la nature et son spectacle. Ces artisans respectent la beauté du pays et prônent la désappropriation de la nature et la sauvegarde du territoire. En étant prodigues de leurs richesses, ils atteignent, à leur manière, leur indépendance et la liberté. En édifiant Menaud, la distillerie & brasserie, nous souhaitions revenir à la source du maître et faire renaître la part artisanale de la distillation et du brassage, et ce, tout en nous dissociant de son caractère patriotique. En y arrivant, Menaud deviendrait un hommage aux artisans créateurs modernes et un fervent défenseur de leur liberté, de leur savoir-faire.
Pour nous, l’essentiel se concentrait sur l’apport de matières premières de la région de Charlevoix dans la confection de spiritueux et de bières authentiques. Nous avions le désir de distiller et de brasser des breuvages inspirés de notre territoire, de ses odeurs et de sa flore. Il devenait inconcevable de mettre en œuvre cette philosophie tout en se procurant un alcool neutre d’ailleurs. Le résultat de nos recettes devait reposer sur des grains provenant de notre région, variant selon les récoltes.
En d’autres mots, nous souhaitions forger notre personnalité avant tout en tant que distillerie. Développer, puis contrôler entièrement le processus de notre production, tout en étant bien conscients de l’envergure du projet. Afin de concrétiser cette vision, la première phase s’ouvrait sur l’élaboration de l’assise de toutes nos boissons : un alcool de grains à 96 % de titre alcoométrique volumique. Or, à l’instar d’un vin et des raisins inhérents à sa confection, le goût et la saveur d’un alcool artisanal dépendent du type de grain, de sa provenance et des méthodes de transformation utilisées. De nombreux ingrédients comportant des sucres fermentescibles auraient pu être sélectionnés pour produire notre base : grains, fruits, patates, maïs, etc. En adoptant une approche empirique, où même la gourgane fut mise à l’épreuve, nous avons fait le choix d’utiliser le blé pour son côté brioché et sa texture soyeuse ainsi que le seigle pour ses notes épicées, dans des proportions respectives de 75/25.
La provenance de ces grains paraissait évidente. Ils devraient tirer leur origine entièrement de l’Isle-aux-Coudres, plus précisément de la Ferme Harvey. Alors que ces artisans-modernes travaillaient déjà à temps plein, ils ont eu l’idée romantique de profiter de leur propriété sur l’Isle pour récolter des grains de toutes sortes. L’humidité du fleuve, l’air salin entourant leurs terres et l’arrivée tardive des saisons, s’exprimant dans un grain iodé, brut et serré, l’emporteraient sur les risques émanant d’une chaîne d’approvisionnement à un fournisseur unique. À l’aboutissement de la première phase, le résultat correspondait à un alcool de base distinctif : une toile vierge constituée d’un bouquet délicat.